29 mars 2024

Hors du placard : plongeon dans la vie

J’aimerai tout simplement partager avec vous mon histoire de coming out… Qui m’a aussi permis de faire un bien grand cheminement dans plusieurs aspects ma vie.

Équipe -Pose ta question!-

La sortie du placard («coming out ») est propre à chaque individu : tout le monde aura une histoire à raconter. C’est peut-être l’histoire d’une conversation, d’un grand amour ou bien encore d’un aveu à soi-même. C’est à quinze ans, dix-huit ans, vingt ans, à n’importe quel âge, enfin. C’est à Montréal, au Canada, en France, en Chine, en Russie… J’aime imaginer, à la façon d’Amélie Poulain, tous ces garçons et ces filles, toutes ces femmes et ces hommes du monde, qui feront leur sortie, avec le sentiment de bien-être et de liberté qui l’accompagne et ainsi je me demande, il y en combien par heure? Ce genre de sortie ne se fait pas toujours aussi aisément que la sortie du centre d’achat, mais ce qu’on y gagne dépassera grandement, et de loin, les efforts qu’on y aura mis et angoisses qu’on aura vécu…

Installez-vous confortablement, et je vous raconterai donc maintenant la mienne.

En rétrospective, je dirais que mon attirance envers le sexe masculin doit remonter à mon enfance quand j’étais au primaire. Mais c’est seulement au secondaire que j’ai réalisé qu’il y avait quelque chose « qui ne tournait pas rond. » Comment se faisait-il que tous ces gars s’excitait tellement à propos des filles (et surtout de leurs seins)?? Je n’y comprenais rien et je faisais donc comme tout le monde : les filles, c’est « hot. » De mon côté, j’admirais en silence les beaux garçons que je croisais dans les corridors de l’école, mon regard s’attardait un peu trop sur ces beaux blonds aux yeux bleus ou ces visages angéliques, et puis dans les cours de gym, les corps sculptés d’athlètes ne me laissaient pas tout à fait indifférent! Mais je refoulais avec prestance tous ces sentiments comme on empile les vieux magazines au fond du tiroir, d’autant plus qu’une insulte populaire du temps était de traiter quelqu’un de « tapette », « fife », ou encore, de « fag » ou « faggot ». Juste pour me rendre la vie encore plus facile, j’étais aussi un des méga-nerds de l’école – trop intelligent pour mon âge, aucune habilité sportive, j’étais petit et maigre, portait des lunettes, je jouais du piano classique – enfin, j’ai pas besoin de vous faire un dessin. Je faisais partie de ces gars pas cool. Disons que pour le côté confiance en soi, je n’avais pas vraiment les bons joueurs de mon bord! Évidemment, rendu le moment de la graduation, je n’avais ni de blonde plantureuse, ni de bel adonis à mes côtés, mais bon, j’ai pris un peu d’alcool, j’ai même dansé, et ça a surpris bien du monde, ils ont ris – j’étais pas sûr s’ils riaient AVEC moi ou DE moi…

Cégep, soit Vanier College : cela a été pour moi la Renaissance, de plusieurs de points de vue. J’ai débuté l’année scolaire en déprime totale et sans presque aucune estime de soi. Je me considérais laid, inintéressant, dépourvu de charmes – enfin, c’était l’âme noire et en lambeaux. J’étais très timide et j’angoissais chaque fois que le professeur devait interroger quelqu’un à l’oral. Dès la première semaine de cours, un beau bonhomme dans mes cours ne cessait de me faire tourner la tête. Allez, on refoule ces sentiments dans le tiroir avec le reste! Un ami me proposa finalement d’aller voir un des ces conseillers/psychologues qui travaillaient à l’école. Les rencontres ont duré un an, et j’ai cessé peu à peu à broyer du noir et commencer à voir le ciel bleu et les nuages. J’ai commence aussi à reprendre confiance moi, tranquillement, pas vite. Je ne mentionnais évidemment jamais l’homosexualité, et même à la demande du conseiller, je répondais automatiquement par la négative. Gai? Ah non, moi jamais. Non, non, non. Deuxième année de cégep. Je me lie d’amitié avec ce gars, Tom, qui était tout ce que je voulais être, en ce temps-là : belle gueule, populaire avec les gars et les filles, extroverti, sportif. Nous devenons vite de proches amis. Il m’aidait dans ma vie, et moi en retour, je l’aidais à passer ses cours de physique et chimie organique! C’est probablement aux alentours de cette période que je lisais en cachette quelques articles sur l’homosexualité que je trouvais dans des livres. Je lisais, je lisais, et me sentais de plus en plus visé… « Oh non, ça ne peut pas être moi, ça!!! Pourquoi moi?» Mais je m’efforçais toujours à me chercher une blonde. Je me suis même allé jusqu’à demander à une fille dans mon cours de gym à sortir avec moi. Elle a refusé poliment, elle avait déjà un copain. Mes soi-disant intérêts hétéros se sont donc posés sur une amie commune de Tom et moi-même, sans trop de succès.

L’été précédant l’université, je pars en Colombie-Britannique, où Tom passera son été, pour une visite d’une semaine. On fait du camping ensemble. Un soir il se déshabille devant moi et je me sens tout bizarre. Tout de suite, sentiment à mettre au fond du placard! Rentré à Montréal, je lui écrit lettre après lettre, lui disant souvent qu’il me manquait énormément. Un jour je lis ceci dans une de ses réponses : « Tiens-toi debout et soit un homme. Sinon on pensera que tu es un homosexuel ». Il avait lors une blonde. Et j’étais jaloux. Je l’aimais sincèrement. Et je ne me l’avouais toujours pas.

Première année d’université. Je me lie d’amitié avec un gars dans mon cours d’Allemand. Il est grand, d’origine danoise, intelligent, musicien et on a bien des choses en communs. On se tient souvent ensemble même si on était dans de différents départements. On fait la fête ensemble. Je couchais chez lui quelques fois. On avait des conversations intimes. Un jour il passe son bras autour de mon épaule et me dit : « Toi et moi, on ferait des dégâts si on était dans le même département. » Mais il a aussi une blonde. Mais je ne suis pas jaloux cette fois-ci – plus sage. Une fille dans mon cours de biochimie est devenue aussi une amie proche. Je lui parle de mes sentiments envers Erik. Finalement. Comment se faisait-il que je tombais tout le temps pour mes amis gars et jamais pour les filles??? Peu à peu je lui faisais des confidences sur les sentiments que j’avais envers les hommes. Pour payer le loyer, je travaillais à la bibliothèque de musique de l’université. Il y avait un certain bel étudiant sur qui j’ai développé un bien gros « kick ». Ah ben là… franchement… J’avais envie de le prendre dans mes bras chaque fois que je le voyais s’approcher du comptoir pour sortir des livres.

Le grand jour arriva. Le jour J!! Je venais de me réveiller et étais encore au lit. J’avais 21 ans. Je me suis dit, dans ma tête : « Je suis gai ». J’ai encore essayé. Je l’ai répété une autre fois en silence. J’étais bien heureux de remarquer qu’un gouffre ne s’est pas ouvert sous mes pieds, qu’il n’y avait pas de démons ailés qui sont venus me jeter dans les feux de l’enfer, ni d’éclair devant me foudroyer sur place! Ah, c’est bien, ça. Je suis allé devant un miroir et j’ai répété à haute voix : « Je suis gai. » Et puis je me suis senti soudainement tellement soulagé. Le poids des mensonges que je me disais commençait à s’alléger.

Je ne suis pas allé faire la fête le lendemain. Je me suis essayé à sortir dans le village gai de Montréal, mais je n’ai pas fait long feu. Ce n’était pas mon genre d’endroit, je ne me sentais pas vraiment « chez moi ». Je n’ai jamais participé à une parade de fierté gaie, je n’en sentais pas le besoin. Mais à chaque fois qu’on me demande : « As-tu une blonde? » ou autres questions du genre, je dois corriger et dire : « J’aime plutôt les hommes, à vrai dire. » Quelques fois, ça peut choquer des gens ou les rendre inconfortables. Mais ce n’est pas mon problème… j’avais passé assez d’années à mentir. C’est fini, maintenant.
La facilité avec laquelle je disais aux autres que j’étais gai augmentait à chaque affirmation. Aujourd’hui, dire que je suis gai est tout aussi anodin que de dire que je parle français!

À ce jour, les seuls qui ne sont peut-être pas au courant de mon orientation sexuelle sont ma famille – excepté ma sœur. J’appartiens à ce que l’on appelle « une minorité ethnique visible » et puis chez nous, l’homosexualité est un sujet qu’on ne mentionne tout simplement pas. C’est presque tabou ou bien on en rit ou en s’en moque. Le jour viendra où je devrais « présenter l’évidence », mais comme la sortie du placard, je crois que ce n’est pas une chose qu’il faut forcer – tout vient à temps, naturellement, à qui sait attendre, attendu qu’on prépare bien le chemin.

Je suis gai, oui, mais en même temps, « gai » ne me définit pas entièrement comme personne. C’est dommage, et des fois frustrant, que les médias ont souvent tendance à nourrir les stéréotypes. J’aurai pu être hétéro ou lesbienne ou transgenre ou protestant ou musulman ou Suédois ou Russe ou Mexicain et puis cela n’aurai pas changé le fait que je reste la même personne, Jean-Pierre, avec toutes ses qualités et défauts, ses passions…

En fin de compte, l’amour, en plus d’être aveugle, n’a pas de frontières, pas de nationalité, pas d’orientation sexuelle.

Je regarde quelques années en arrière, bien avant le jour J, et je me rends compte que j’en ai bien fait, du chemin. Et vous savez quoi? Si je n’étais pas gai, je n’aurai probablement pas fait cette longue route d’introspection. Je me suis trouvé, moi, Jean-Pierre, au fond de ce placard tout poussiéreux. Il avait peur. Mais je l’ai aidé à sortir. Une fois qu’il a vu la lumière du jour, il s’est mis à sourire, et il était beau. Il a recommencé à aimer la vie. Même si, des fois, elle lui tape vraiment sur les nerfs. Si aujourd’hui on me donnait le choix de «devenir » hétéro, je dirai : « non, merci! ».

Sortir du placard, c’est un peu comme faire un grand plongeon. Rendu au bout de la planche, elle vacille, on tremble un peu, on a peur, il n’y a que le vide alentours et on a les fourmis dans les jambes. Peut-être qu’on ferme les yeux. Et puis on saute! L’eau rafraîchit soudainement, instantanément, de la tête au pied, et puis on sort du bassin revigoré. « Tiens, mais c’était pas si pire!!! » C’était comme ça pour moi. Hors du placard : pour le grand plongeon dans la vie.

Et voilà. Toutes les histoires de coming out me donnent de l’inspiration. J’espère que celle-ci vous aura rapporté au moins un sourire!

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