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28 mars 2024

Expulsée d'un bar de Longueuil parce qu'elle est transgenre

Pour mettre fin à l’exclusion des personnes trans des espaces publics !

AlterHéros

29 janvier 2005. Michelle De Ville se fait expulser du bar Mon Ami Pierrot, sur le boulevard Taschereau à Longueuil. La raison? Tout simplement s’est pointée dans ce bar straight de la Rive-Sud alors qu’elle est une personne transgenre…
Pendant de nombreuses années, le débat sur la place des personnes transsexuelles et transgenres dans notre société est resté au second plan, derrière la question jugée prioritaire de  l’acceptation des homosexuels, des lesbiennes et des bisexuels.
S’il est, encore aujourd’hui, difficile pour des jeunes gais, lesbiennes ou bisexuel(le)s d’accepter leur orientation et de faire face aux préjugés qui circulent toujours sur les homos (je me suis d’ailleurs fait traiter de « tapette » sur la rue Saint Laurent jeudi dernier, alors que je tenais le bras à une de mes amies! – Il est parfois dur pour un gai de rester calme et de ne pas sortir ses griffes pour donner une bonne leçon à toute cette connerie sur pattes!)  les obstacles à surmonter pour une personne transsexuelle ou transgenre semblent souvent plus redoutables encore : affronter le regard des autres pendant sa période de « transition », avoir fréquemment à se justifier de son transsexualisme auprès de ceux et celles qui ne peuvent tout simplement pas accepter qu’avant d’être une affaire du génétique, l’identité sexuelle d’une personne est celle qu’elle se permet d’acquérir.

De nombreux préjugés spécifiques circulent au sujet des transexuel(le)s et transgenres. Pour beaucoup, même parmi les homosexuels, un(e) trans n’est qu’un gai ou une lesbienne qui ne s’accepte pas dans sa masculinité ou sa féminité, et a besoin de s’afficher de manière extravagante pour affirmer son orientation sexuelle.
Nous avons tendance à n’accepter que le travestissement : changer de sexe ne doit être que l’histoire d’un moment, d’un jeu, d’une clownerie. Si ce jeu perdure, il devient à nos yeux problématique, pathologique, malsain. Et pourtant, sommes-nous différents ? Homosexuels, lesbiennes, bisexuels et trans ne doivent-ils pas faire front commun contre l’ignorance et – parce que c’est souvent le cas – la connerie pure? Ce qui nous unit n’est-ce pas précisément notre différence et notre volonté de ne plus être victime du regard de l’intolérance?
C’est en tout cas ce que croit Michelle De Ville, une transgenre qui s’est impliquée dans divers organismes de bienfaisance. Fondatrice de deux groupes pour transsexuelles et travestis séropositives respectivement au sein du CSAM (Comité Sida Aide Montréal) en 1989 et au Spectre de Rue en 1994, longtemps membre d’Act Up Montréal, et du groupe Stella qui vient en aide aux travailleuses du sexe, ainsi que de la Coalition des travailleurs et travailleuses du sexe de 1989 à 2001, Michelle a, plus récemment travaillé près de deux ans au sein de Centraide.
En plus de son implication, elle a performé pendant près de 20 ans sur des scènes aussi variées que l’Entre-Peau et le Café Cléopâtre à Montréal, le Whisky a Gogo à Cannes et a La Garçonnière a Genève. Et pourtant… On peut être une personne assumée, bien dans sa peau, fortifiée de plusieurs années de communautaire et de spectacles, et demeurer la cible de comportements intolérants, dont la bêtise n’a d’égale que la douleur et l’humiliation qu’ils causent. Face aux préjugés, tout épanoui(e)et impliqué(e) que l’ont soit, on n’en demeure pas moins vulnérable.

Mon Ami Pierrot, un bar homophobe?
Je me suis entretenu cette semaine avec Michelle pour qu’elle me raconte ce qui lui était arrivé, en ce 29 janvier 2005, dans le bar Mon Ami Pierrot, sur le Boulevard Taschereau à Longueuil. Michelle participait à un GT (Get together) organisé par le Réseau Contact dans ce bar de la rive sud de Montréal.
Il ne s’agissait pas de sa première participation à ce type d’événement ; jamais jusqu’à alors sa présence n’avait causé de troubles, confie-t-elle. Quelques regards possiblement, mais en aucun cas de l’animosité.
Ce soir de 29 janvier, ce fut pourtant une première du genre. Qu’y a-t-il de plus insultant pour une femme que de se faire approcher par un portier, quelques minutes seulement après être entrée, puis demander de fermer son décolleté? On se croirait revenu au temps où les homosexuels se faisaient surveiller sur les plages par des policiers peu gracieux, de peur que ces homos n’en viennent à forniquer drette sur le sable chaud!

Un poids, deux mesures???
Eh bien ce qui peut être encore plus insultant, c’est précisément de se faire « remonter les bretelles » par un portier nonchalant, tout en constatant que, autour de soi, se déhanchent sur la piste de danse des jeunes et moins jeunes filles qui  perdent leur inhibition en même temps que leurs vêtements, sans que cela ne sollicite aucune indignation de la part du même portier.
Pourquoi? Parce que ces filles là  ne sont pas nées de l’autre sexe ? Y avait-il provocation de la part de Michelle ? En quoi le décolleté d’une robe portée par une trans est-il moins acceptable qu’un string largement offert par quelques demoiselles au regard convoiteur des hommes?

Photos de la soirée à Mon Ami Pierrot, le 29 janvier 2005, si un simple décolleté d’une transgenre peut être dégradant, on se demande pourquoi un string ou un nombril à l’air (un ventre complet à l’air!!!) ne l’est pas… Source : http://community.webshots.com/album/263861282VcWpit

Point d’ironie dans mes propos. Dans un lieu de divertissement comme est censé l’être Mon Ami Pierrot, il ne se passe pas autre chose que ce que l’on observe au Unity ou au Sky dans le village : des garçons et des filles qui se mettent torses nus, des jeux de regard, quelques sous-vêtements mis en évidence pour séduire…
Alors qu’y a-t-il de si impudique et choquant dans le fait qu’une trans porte un décolleté tout en sirotant sa bière ? Le fait peut-être que Michelle ne se situait pas dans le village? Mais alors je demanderai : est-il encore acceptable qu’en 2005, dans une société qui a la réputation d’être en avance sur ses voisines, qu’il y ait des endroits inte
rdits aux personnes d’une orientation ou d’une identité sexuelle différente ?

« Les gens comme elle, pas les bienvenus »
Mais la mésaventure de Michelle ne s’arrête pas à une remarque quelque peu incongrue sur un décolleté soi-disant offensant. Dix minutes après l’intervention du portier, un autre approche Michelle qui discutait avec ses amies du Réseau Contact, et lui « demande » de la suivre à l’entrée du bar. Michelle s’exécute, sans poser de question.
Là, survient ce que personnellement je n’aurai pas pensé encore possible de nos jours. Le gérant attend Michelle à la porte de l’établissement et lui déclare tout de go que « les gens comme elles ne sont pas les bienvenus ici ».
Dans une tentative désespérée de courtoisie, comme pour montrer que, on peut être un gérant stupide et hors du temps, et n’en être pas moins un minimum galant, il lui rembourse les 5$ de cover.
Caroline Rodrigue, une des amies de Michelle vient alors lui demander pourquoi celle-ci quittait ; elle se fait répondre à l’oreille par notre ami gérant qu’il y a des clubs pour les gens comme ça et:que son club n’en est pas un. Sur un ton de voix arrogant  – m’a précisé Caroline.
Y avait-il une quelconque gêne chez les clients de Mon Ami Pierrot ce soir là? Difficile de répondre tant l’expérience de Michelle dans ce bar s’est avérée courte, une quinzaine de minutes tout au plus, le temps d’une bière et de trois mots échangées avec des personnes qui ne paraissaient pas offusquées de sa présence.

Un cas de transphobie
La même Caroline, qui pouvait jauger le niveau de confort des clients, m’a indiqué que ni le modeste décolleté de Michelle, ni la présence physique de celle-ci n’avait suscité de réaction dans la salle. Il semble donc que l’attitude du gérant ait été un acte flagrant de transphobie, ou d’homophobie dans son sens le plus large.
Était-il soucieux du fait que ses clients pourraient sortir en hurlant de son bar, comme si un godzilla en talons avait pénétré les lieux et menaçait de les taillader à coups de griffes ? Se préoccupait-il de la réputation de son établissement et, pour des raisons purement économiques, préférait-il sacrifier une trans à l’avenir de son « Ami Pierrot »? Ou bien… explication tout aussi valable, n’était-il tout simplement pas au courant que toute discrimination sur la base de l’orientation ou de l’identité sexuelle est un délit?

La tolérance ne suffit pas…
Lors de son spectacle « Mado chante Abba » du mercredi 23 mars auquel j’ai eu la chance d’assister (Merci pour les billets gratuits, Mado!), entre Dancing Queen et Money money money , Mado plaçait quelques remarques d’ordre plus politique… Destitution de Patatouf, Mado mairesse de Montréal, etc… Ce que j’apprécie chez Mado, c’est sa capacité à utiliser l’humour pour véhiculer un message qui heurte la bonne conscience, qui rentre de plein fouet dans les préjugés, et qui prône l’ouverture. Elle disait très justement que la tolérance ne suffit pas. Que c’est l’acceptation qu’il faut viser.
Ce gérant qui doit certainement se vanter de ne pas avoir de « problème » avec les gais et ceux qui leur sont apparentés (oh la… dans le même sac!), du moment qu’ils ne dérangent pas, a manqué le train.
Voici ce qu’il faudrait lui expliquer : que nous ne sommes plus au temps où l’on pouvait être gai, lesbienne, bi ou trans à condition que cela ne dérange pas le bon peuple bien pensant. Que les clients d’un bar straight ne sont ni si « sainte nitouches » ou si facilement « offuscables » qu’il voulait bien le penser. Il ne faut ni sous-estimer l’ouverture d’esprit des hétéros, ni non plus la portée de certains actes comme celui posé par le gérant : refuser à une trans le droit d’être dans un bar est un acte intolérable, un geste primaire d’intolérance, qu’en tant que gai, lesbienne, bi, trans ou hétéro « normal », c’est-à-dire intelligent, nous nous devons de condamner.
Nous savons ce que nous ne voulons plus : la tolérance n’est pas suffisante, et l’intolérance inacceptable. De nos jours on ne peut plus taxer d’indécence une personne parce qu’elle est ce qu’elle est et se montre telle qu’elle se vit. Il n’est plus permis – merci à ceux qui ont fait avancer la cause dans la lettre de la loi – d’humilier quelqu’un sous prétexte que son orientation ou son identité sexuelles pourraient choquer certaines mentalités.

Le droit de sortir du village
C’est précisément cet immobilisme de pensée, cette ataraxie de l’intelligence et des mentalités qu’il faut continuer à changer. Un gai, une lesbienne, un bi, un(e) trans ont le droit de sortir du village! Et il est navrant que de nos jours certaines mentalités arriérées persistent…
« Ça me désole de voir que certaines mentalités régressent, m’écrivait Mado récemment. Je trouve déplorable qu’en 2005, on doive encore se battre pour notre droit d’être différent. L’histoire de Michelle est un bon exemple que la lutte contre l’homophobie est loin d’être terminée. Il ne faut pas avoir peur de dénoncer les abuseurs verbaux et tous ceux qui font preuve d’intolérance à l’égard de nos minorités. »

À la défense de Michèle
Nuaje Dupuis, qui travaille comme opératrice du Réseau Contact, se souvient qu’il y a deux ans et demi, des insultes pleuvaient sur Michelle, lancées par des membres du réseau qui, non contents de lui manquer de respect, la traitaient de tous les noms.
« On venait me voir en privé pour me dire que c’était une prostituée, une chienne qui ne méritait pas sa place parmi nous…. Bref tout ce genre de conneries. On me demandait de l’expulser de la salle sinon, on ne viendrait plus discuter dans la salle. Quand on me parlait d’elle, c’était au masculin. etc. etc. On ME traitait même de lesbienne ou de FIF parce que je prenais sa défense », affirme-t-elle.
En réponse aux menaces qui lui étaient adressées, Nuaje se disait : « Peu importe si je me retrouve seule dans cette salle, JAMAIS je n’irai contre mes valeurs qui sont le respect des gens, peu importe ce qu’il ou elle est. »
Une détermination qui n’a cessé de s’accroître deux ans après ce qui s’est passé sur le Réseau Contact. «
J’ai toujours expulsé les crétins de la salle et je continuerai de le faire encore. Pour moi, Michelle est une femme à part entière et je la soutiendrai dans ses démarches », dit-elle.
Crétinerie… C’est précisément ce dont il s’agit… Être homophobe est le signe d’une ignorance. Ignorance à laquelle avec patience et constance, il s’agit de remédier par l’éducation… À la condition toutefois que l’homophobe en question veuille bien apprendre…  Mais parfois, pour les plus retors, un bon petit coup de balai qui rue dans les brancards ne fait pas de mal, juste pour faire comprendre que les limites du respect, du civisme et de l’humanité ont été dépassées.

Dénoncer la situation
Aujourd’hui, que souhaite Michelle ? D’une part que cet article soit lu par des gens de la communauté allosexuelle et que l’on se joigne à elle pour dénoncer un comportement inacceptable dont nous pourrions tous être victime.
Quelle est la différence entre une trans qui se fait expulser d’un bar de Longueuil et une personne de couleur à laquelle on refuse l’entrée d’une discothèque du fait qu’elle « n’a pas le profil »?
Partout la même intolérance, les mêmes préjugés, la même crétinerie contre laquelle il s’agit de s’élever. Michelle, qui poursuit son implication communautaire dans une banque alimentaire et se dédie désormais à la vente et la location d’accessoires pour les productions cinématographiques, ne pensait certainement, dans une société qu’elle croyait  évoluée, avoir à livrer une bataille juridique pour faire valoir ses droits, ces mêmes droits que l’on bafouait allègrement il y a peu de temps encore …
Bien sûr, la connerie n’est pas générale, mais certains îlots, comme Mon (pitoyable) Ami Pierrot subsistent… Et la loi est désormais de notre côté. Michelle entamera sous peu des poursuites juridiques pour dommages moraux et sera soutenue dans démarche par des associations telles que Stella et CPAVIH.

Remettre les neurones en place
« Mon Ami Pierrot », je vais prendre ma plume pour t’écrire ce petit mot, qui j’espère, remettra tes neurones en place : Il ne faut pas se leurrer. Si l’image des gais, lesbiennes, bi et trans a évolué ces dernières années, nous ne sommes pas encore au bout du chemin, loin de là.
Un(e) transexuel(le) ou un personnificateur féminin encourt les mêmes types de risques qu’un homo qui a de la difficulté à accepter son orientation sexuelle : isolement, suicide, comportements sexuels à risque, drogue, faible estime de soi.
Selon Michelle, « s’assumer » en tant que trans, ça demande un courage phénoménal : l’obstacle à surmonter se situe encore un peu plus haut que celui que les gais et lesbiennes ont à franchir. Car dans ce cas, il ne s’agit pas seulement de faire comprendre à son entourage, à sa famille et ses amis, que l’on reste le (la) même quoique l’on soit attiré(e) par des personnes du même sexe.
Pour un(e) trans, il s’agit d’accepter de se transformer physiquement, psychiquement, pour correspondre à ce que l’on est vraiment, et de faire admettre aux autres que si l’on change, c’est pour devenir enfin soi-même.
Nuaje, au sujet de celle qui est devenue son amie, m’écrivait : « Michelle a de la classe et j’ai toujours eu un respect immense pour elle car je sais toute la force et le courage qu’elle doit avoir pour survivre jours après jour. Peu importe les insultes et les calomnies dont elle était victime, Michelle n’a jamais baissé les bras et a toujours continué à garder la tête haute. À mes yeux, c’est une grande Dame. »

Selon Michelle Deville , « s’assumer » en tant que trans, ça demande un courage phénoménal : il s’agit d’accepter de se transformer physiquement, psychiquement, pour correspondre à ce que l’on est vraiment, et de faire admettre aux autres que si l’on change, c’est pour devenir enfin soi-même.

Faire front commun
Si nous partageons tous et toutes le même malaise face aux mesquineries d’une société trop souvent homophobe aujourd’hui encore, n’est-il pas temps d’avouer que les minorités sexuelles ont le devoir de faire front commun?
Les gais eux-mêmes ont à faire un pas dans l’acceptation de la transsexualité, un phénomène qui heurte leur sensibilité, eux qui ont souvent appris qu’être homosexuel ne lèse en rien leur virilité.
Front commun contre qui ? Contre l’intolérance de certains partis conservateurs par exemple qui tiennent des propos inacceptables… Front commun pour quoi ? Pour que la société dans laquelle on vit soit enfin celle dont on rêve. Contre le risque d’isolement que chacun, parce qu’il est différent, encourt, il n’y a peut-être qu’un seul mot d’ordre qui compte : solidarité.
Michelle souhaite par ailleurs lancer une ingénieuse initiative pour donner une petite leçon à ce club un peu rétro dont le gérant défit les lois de l’évolution naturelle. Si vous êtes intéressé(e) à en savoir plus, n’hésitez pas à nous écrire et nous vous apporterons quelques précisions.
Pour terminer, je laisserai les deux mots de la fin à Nuaje, en guise de deux petites injonctions : Aux gais, lesbiennes, bi, et trans d’une part : « Comme j’ai dit souvent à Michelle quand elle est dans la salle:  Ne demande pas le respect… EXIGE-LE ! » Et pour montrer que la lutte pour l’acceptation n’est pas la seule affaire des « minorités sexuelles », mais bien de tous, quelque soit notre orientation ou notre identité sexuelles : « Si on pouvait  tous mettre notre grain de sel pour enrayer cette maladie qu’est le PRÉJUGÉ. la vie serait meilleure… »

Bon courage Michelle, on te soutient!

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