J'aurais aimé ne pas tomber amoureux de toi, cher ami hétéro

L’amitié et l’amour ça ne cohabite pas, je l’ai appris à mes dépens. Je pensais qu’on resterait simplement amis, parce que même en ami j’ai besoin de lui, mais je ne pourrais pas revenir vers lui tant que j’éprouverais cette chose si forte. J’aimerais raconter mon histoire, le plus concis et complet possible, après l’avoir vécu pour moi et pour moi seul pendant bien trop longtemps. Bonne lecture à ceux qui auront le courage de lire jusqu’au bout 🙂

Clément

Ce que je m’apprête à écrire ici n’est pas seulement une histoire d’amour à l’issue malheureuse. Non, ce témoignage dont je fais part aujourd’hui est surtout une partie de ma vie, une période qui risque de l’influencer tout entière, une expérience de celles dont on retient la leçon. C’est une histoire longuement douloureuse mais intensément riche en enseignements. Elle m’a appris tout un tas de choses sur moi-même, ma personnalité, mes limites, mes angoisses, et révèle ces fragments d’âme terrés au plus profond de moi que je loge depuis ma naissance. Elle m’a surtout appris à devenir plus fort, plus résistant, plus lucide, m’offrant une vue plus large sur ce qui est aujourd’hui mon passé et ce qui dessine mon avenir. Elle intervient à un moment précis de ma vie au cours duquel mes émotions ont évolué, logiquement, en toute simplicité, conforme à l’avancement naturel de la vie.
Seulement voilà, certaines de ces émotions m’ont apporté du bien-être, voire du bonheur, tandis que d’autres m’ont à l’inverse ravagé, mentalement affaibli, parvenant jusqu’à un certain stade de la destruction. Mais ces deux sortes d’émotions font maintenant partie de moi, je les accepte, et je compte m’en servir comme une expérience de la vie pour devenir plus fort et me préparer à l’avenir. Même si dans la douleur et la difficulté, bien qu’aucunement dans le regret, car si je suis sûr d’une chose c’est qu’il ne faut jamais rien regretter dans la vie.
Je me présente, Clément, 25 ans, fan de jeux vidéo, de musique… et ouvertement homosexuel. Enfin je ne le fais pas, quelqu’un qui ne me connaîtrait pas déclarerait sans doute que je suis un parfait hétéro. Pourtant j’ai vite compris que je serai différent de la majorité des gens, et surtout ceux de mon âge, à ma hauteur de vue. Cela a commencé tôt, au collège, où j’ai commencé à éprouvé des troubles à l’égard de certains garçons que je fréquentais de près ou de loin. Je ne m’en préoccupais pas plus que ça, bien que ces premières attirances devinrent parfois obsessionnelles. En quatrième, j’ai eu beaucoup de mal à détourner mon esprit d’un garçon en particulier, mais cela ne s’est jamais vu, tant j’ai intériorisé cette émotion. Premier signe d’une attitude dangereuse, je dois l’admettre aujourd’hui. Mais à l’époque ce n’était pas si grave, les gens allaient et venaient, ceux à qui je me fixais disparaissaient tôt ou tard et je m’en remettais vite. Cela a duré tout le long de ma scolarité.
Mes parents ignoraient tout, et il était hors de question qu’ils sachent. D’abord parce que je n’assumais pas, ensuite parce que leur vision de l’homosexualité n’était en rien encourageante… Alors je me taisais, laissant ces sentiments me traverser en silence, tout le temps. Tout le monde l’a ignoré, d’ailleurs. J’étais un simple hétéro, à qui aucune aventure amoureuse n’avait encore jalonné la vie, car déjà bien prise par les études/travail et mes diverses occupations. Et je dois dire que ça ne me manquait pas tellement, l’amour était un sentiment très vague, je voyais des jeunes se lier sans comprendre pourquoi ils le faisaient. En fait ça m’était même totalement égal, jusqu’au jour où…
Il y a cinq ans (j’en avais vingt), une connaissance à ma meilleure amie me contacte et désire me rencontrer, car nous avions quelques goûts en commun. Il s’appelle Thomas, une certaine tendance gothique, un peu maigre… et fan d’un certain groupe de rock populaire que je préfère ne pas mentionner. Quel intérêt d’évoquer ce groupe dans mon récit, me direz-vous ? Vous le saurez bien assez tôt ! Nous nous rencontrons alors un soir, dans un restaurant japonais à Saint-Lo, et ce garçon tombe immédiatement amoureux de moi. On s’est contentés d’une simple soirée, resto, billard, de quoi faire plus ample connaissance, mais je n’avais aucune idée en tête, si ce n’est me faire un nouvel ami. Puisque nous nous plaisions (disons ça comme ça), nous nous sommes revus, à plusieurs reprises, jusqu’au jour où il me proposa de passer le week-end avec lui à Nantes, où habite notre amie commune ainsi que de nombreuses amies à lui, également fans du groupe.
Ce week-end, en mars 2011, est une véritable révélation pour moi, sur de nombreux points. J’ai commencé à sentir une réelle attirance pour lui, puis une série de rapprochements physiques, aussi j’ai fini par lui prendre la main. Ca y est, mon premier petit ami, et je savoure le bonheur d’être si intimement lié à quelqu’un. Je m’immerge également dans l’univers du groupe de rock dont je tombais également sous le charme ce week-end là, ainsi que le plaisir d’un week-end entre amis comme j’en ai rarement eus. En effet, cette période de ma vie est celle où je ressentais une solitude grandissante, du fait du peu d’amis que j’avais, de ne pas sortir le week-end le plus souvent, tandis qu’autour de moi tant de jeunes de mon âge avaient une vie sociale pleine et épanouissante. Pensez-en ce que vous voulez, mais moi je me sentais mal de me sentir ainsi en décalage, de voir des lieux grouillants de vie tandis que je laissais presque trop paisiblement couler la mienne. Thomas m’apportait une réponse à cela, il m’ouvrait la voie vers plus de vie à l’inertie de mon existence. Bref, dans le même temps j’annonce à ma mère la nouvelle.
Dans l’euphorie totale où je me trouvais, rien ne semblait pouvoir ternir mon bonheur. Or l’annonce s’est très mal passée, ma mère s’est effondrée, m’infligeant un sentiment de culpabilité incroyablement pesant, « je ne serai jamais grand-mère », me souviens-je… J’avais habituellement un lien de complicité fort avec ma mère, dès lors je ne pouvais presque plus la regarder dans les yeux. Hors de question de l’annoncer à mon père, comme nous avions communément conclu. Je vis alors mon amour en secret, me rendant à Saint-Lo presque toutes les semaines, laissant rien paraître à la maison. Un amour clandestin, mais coupable, toutefois le bien que me procurait ma relation avec Thomas me semblait indispensable. Des problèmes de couples ont cependant commencé à surgir. Thomas était un garçon d’une sensibilité extrême, au passé lourd, mais nous nous accrochions à notre rêve de nous installer à Nantes, ce qui pour moi serait le moyen de faire perdurer le bonheur que j’ai vécu lors de ce fameux week-end. Mais d’autres problèmes, intimement liés à moi, ont mis en danger notre avenir. Je ne rentrerai pas dans les détails, mais je me souviens n’avoir jamais eu de sensations puissantes à embrasser mon petit ami, cela en devenait presque une corvée à mesure où s’allongeait le temps. Je ne comprenais pas, je doutais de mes réels besoins et envies, et malgré tous les efforts de Thomas je tombais progressivement dans une insatisfaction déprimante.
Le temps a passé, les difficultés se sont accumulées, sans compter de tout dissimuler à mes parents qui devenait de plus en plus éprouvant. Mon amour s’est progressivement évaporé, alors un jour j’ai rassemblé mon courage pour déclarer franchement à Thomas que je comptais mettre fin à notre relation. La séparation a été difficile, pour lui bien plus que pour moi, mais il fallait m’y résoudre, quitte à perdre ma place à Nantes car en effet je n’avais plus beaucoup de raisons d’y aller si ce n’est ma meilleure amie, et encore elle ne l’a plus vraiment été suite à un certain éloignement.
Là s’achève la première partie de mon histoire. Cette expérience m’a introduit à la vie amoureuse, qui a certes fini en échec mais elle m’a beaucoup appris sur moi-même tant j’ai appris de cette relation. Je n’ai pas eu une enfance malheureuse, mais j’étais arrivé à un âge où ce genre d’expérience était nécessaire, et elle m’était enfin parvenue. J’y ai appris que quand bien même j’aimais la solitude, je ne pourrai construire ma vie seul. J’ai besoin de quelqu’un, un support, un soutien, me rendant bien plus dépendant que je ne le croyais fut un temps. La vie est toujours un peu plus facile à deux. Je suis fort, j’ai envie de projets, d’ambitions, mais je pense que je ne pourrai pleinement les accomplir sans une personne que j’aime profondément près de moi. C’est en tout cas ce que je crois…
Je suis reparti dans une période d’une certaine solitude, sans plus aucune histoire amoureuse, uniquement rendue supportable par le groupe de rock qui devint ma nouvelle passion. Et encore, nous étions dans une période hors tournée, sans concerts où je pouvais me faire de nouveaux amis. Un an et demi de patience. Ca a été long, très long, aussi je me suis inscrit sur un forum de fans du groupe. Je rencontre alors un petit comité Normand, qui décide d’organiser une rencontre entre fans un soir à Caen. On ne sera pas nombreux, juste quatre, dont moi, le nouveau. Un espoir naissait, celui de rompre ma solitude en m’entourant de nouveaux amis, liés par une passion commune. J’étais vraiment plein d’espoir. Et vous savez quoi ? Il a été pleinement satisfait ! Ils étaient trois… Elisa, Mélanie et Thibault. Trois inconnus, mais j’ai vite senti qu’ils feraient intimement partie de ma vie. D’ailleurs je leur ai annoncé mon homosexualité dès le premier soir, c’était important pour moi.
Le contact étant établi, je les invitai même chez moi finir la soirée, à regarder un concert en DVD. Eux trois se connaissaient déjà depuis près de trois ans, mais j’ai vite intégré la bande et nous devenions rapidement quatre très bons amis. Le fait que nous soyions du même âge a aidé, peut-être. Un mois plus tard la nouvelle tournée fut lancée, nous enchaînions les concerts, parfois loin en France, mais ce fut autant d’aventures que justifiait notre passion chère à nos yeux. Bien sûr nous parlions de tout et de n’importe quoi, seulement c’était le catalyseur, comme un lien invisible entre nous. La bande s’agrandit à mesure que s’enchaînaient les concerts et les fans normands formèrent une véritable petite communauté. J’étais heureux, épanoui, comme je l’ai rarement été dans ma vie. Je me sentais moi, à un passage de ma vie où j’étais complètement à ma place. Tout le long de la tournée, qui dura près de deux ans, ce fut une réelle aventure riche en amitié et en partages. Un souvenir précieux, mais je ne détaillerai pas davantage cette partie qui consistait surtout à poser le décor.
Le bonheur n’existe que partagé, c’est entièrement vrai, et j’avais des amis sincères avec qui nourrir ce bonheur. Ce dont je me rendais moins compte, c’est que des sentiments amoureux se sont mêlés à la bataille, et je ne les ai pas vraiment vus venir. Ils étaient en direction de Thibault. Il a exactement mon âge, grand, assez baraqué, tatoué par endroits et avec un certain… surpoids. Je le surnommais vite « mon nounours », car grand et costaud de physique mais d’une douceur et une affection dignes d’une confortable fourrure ! Bien qu’hétéro, balèze, franc et direct dans son parler et son caractère, il relevait d’une sensibilité touchante, très empathique, proche de ses amis et de sa famille, aimant et sincère… du moins aimait-il le prétendre, mais j’ai eu l’occasion en deux ans d’attester de la plupart de ses qualités. J’ai très vite été affecté par les qualités de ce garçon incroyablement attachant, définitivement grande gueule mais d’une facilité de contact à toute épreuve. Pourtant je n’en ai pas pincé pour lui dès le début. Pas lors des premières rencontres.
Au début ce n’était réellement qu’un simple ami, mais à mesure que l’on se voyait, au cours de soirées, rencontres et concerts, j’ai bien senti que je ne le voyais pas comme je voyais les autres. Il devenait spécial à mes yeux, et le restera pendant longtemps sans jamais que j’en vienne à admettre que j’étais probablement amoureux. L’évènement qui cristallisera mes sentiments pour lui, ce sera un concert à Lille, où nous sommes partis tous les deux car aucun autre ami ne nous avait suivis. J’ai le souvenir d’avoir éprouvé un sentiment de satisfaction plus que d’ordinaire à l’idée de partager seul ce moment avec lui, bien que Mélanie nous ait rejoints lors du second concert le lendemain. Entre les deux concerts, nous sommes tous les deux allés dormir chez mes grands-parents, dans le même lit. On se faisait mutuellement confiance, on plaisantait « tu n’as pas peur de dormir dans le même lit que moi ? ». Que la question vienne de moi était d’une certaine façon légitime compte tenu des circonstances, mais en réalité c’est lui qui me l’a posée. Dès lors, et à reprises régulières, j’ai maladroitement interprété beaucoup de signes comme pouvant correspondre à une homosexualité de sa part, qu’il refoulait peut-être, ou qu’il en faisait un jeu. Pourtant Thibault aime les filles, c’était d’une certitude inébranlable, il en parle presque trop tellement il les aime. Mais il avait une affection pour moi, amicale certes, mais une affection.
Il m’adorait, il parlait de moi à sa famille, sa sœur et son beau-frère que je ne connais pas savaient tout de moi ! Je me souviens du « oh oui » soupiré par eux deux lorsqu’à sa soirée d’anniversaire j’ai soufflé qu’il parlait manifestement beaucoup de moi. Bref, je me contentais de ça. Revenons à Lille : je n’ai pas le souvenir de cette nuit comme le moment d’une attirance particulière dans un cadre intime, mais je savais qu’à cette époque j’aimais particulièrement être dans ses bras ; quand il me prenait tel un frère pour me réconforter, et je le recevais comme tel, mais l’ambiguïté s’était désormais installée. Est-ce que j’aimais l’enlacer parce que j’étais amoureux de lui, ou parce qu’enlacer un mec me manquait et que Thibault représentait alors celui qui me manquait dans la vie ? Dès lors ce questionnement me poursuivra de nombreux mois durant. La raison officielle était bien sûr la seconde, Thibault me fournissait une certaine affection dont je manquais et je le recevais en tant qu’ami, c’était du moins ce qu’il pensait. Ce qu’on pensait. Mais ça me travaillait énormément, et quand on reprit notre quotidien il me manquait (on habitait à une heure de distance).
Je ne pensais bientôt presque plus qu’à lui, je m’accrochais à lui, sans jamais lui téléphoner et en envoyant très peu de messages car je m’engage d’ordinaire peu dans les communications à distance et que ne pas le contacter me permettait de garder une distance que je savais nécessaire. Et j’admets ne pas aimer prendre l’initiative d’envoyer des messages, cela me donne l’impression de me suspendre aux pieds de quelqu’un. Alors à quelqu’un que j’aime secrètement, encore moins… J’en étais donc là, dans un flou épuisant, à toujours me demander ce que je ressentais vraiment pour lui. Je ne jugeais pas mes sentiments assez forts pour l’interpréter comme ceux de l’amour, si ce n’est de l’amour amical. Je m’en accommodais, je me pensais en paix, sans m’imaginer que ces sentiments se mêleraient de plus en plus dangereusement à mon amitié pour lui, non moins certaine. Car Thibault était un véritable ami pour moi, je le voyais avant tout ainsi, avec qui je partageais des centre d’intérêts, des émotions, d’autres amis… Une amitié, sans aucun doute. Mais avec ce petit truc en plus, impossible à chasser. Je ne le définissais pas, me pensant en paix avec, me disant que ça me passerait et que je n’avais pas à m’en soucier. La fête du jour de l’an ensemble avec les amis (le meilleur réveillon de ma vie!), les concerts suivants, les week-end ensemble, les barbecues… tous ces moments partagés, toujours forts pour moi, mais toujours un peu plus… quand Thibault était là.
Ainsi cohabitaient deux sortes d’émotions, la joie de partager des moments avec une personne que j’aimais profondément, et une sorte de frustration perpétuelle, mutée en tristesse qui m’envahissait à intervalles réguliers. J’ai toujours eu le fond un peu mélancolique, peur de la solitude, peur de ne pas réussir à donner un sens à ma vie… des choses qui me préoccupent beaucoup trop, on ne devrait pas s’embarrassait avec autant de questions quand la vie peut être beaucoup plus simple. Mais c’est maladif chez moi, j’ai constamment l’impression de tourner en rond, de souffrir de ce qui manque dans ma vie, et ces angoisses étaient exacerbés dès que Thibault était dans les parages. Je n’étais pas qu’amoureux de lui, il représentait tout ce que je n’étais pas, tout ce que je n’avais pas. C’est du moins ce sentiment persistant que j’avais car la vérité est différente.
Il a également sa vie, avec ses propres joies, ses propres peines, mais c’était plus fort que moi : je voulais comme partager sa vie, comme si tout me conduisait toujours à lui. Il m’attirait réellement sur beaucoup de choses, c’était vaste et complexe là où en apparence je n’étais simplement qu’amoureux de lui. Mais peut-être n’était-ce que ça finalement ? En tout cas j’en souffrais, car même le plus que je pouvais avoir de lui -une amitié forte- ne me satisfaisait pas. Et j’accumulais jour après jour cette souffrance, sans jamais extérioriser (je n’arrivais pas même à pleurer). J’en avais honte, je ne l’assumais pas, et surtout je souffrais, encoure et toujours. Autant que je jouissais. J’ai alors longtemps vécu cette cohabitation de sentiment, et ainsi passait le temps, ponctué par ces soirées que l’on passait ensemble. Mais le mal prenait peu à peu le dessus, et devenait réellement douloureux à certains moments précis. Ces moments sont tous identifiables du fait de leur point commun : c’étaient ceux où Thibault faisait quelque chose, n’importe quoi, avec ses amis ou les nôtres, tandis que moi je n’étais pas là. C’est bête, mais c’est réellement là où la douleur devenait dure à supporter.
Sur les réseaux sociaux, dès qu’il postait une photo indiquant une quelconque activité je souffrais de ne pas être avec lui. Des idées noires me parvenaient. La dernière fois que ce genre de douleur survenait c’était avec mon ex, dans les même conditions, ce qui a très clairement révélé la vérité sur ma relation avec lui : j’étais bien amoureux… mais cette fois d’un hétéro ! Je décidai alors de masquer ses publications pour ne plus subir cette étrange souffrance à le voir mener ses activités sans moi, mais la curiosité m’y faisait tantôt revenir. J’ai pourtant songé à mettre fin à ceci car ça allait vraiment loin, je pensais devoir l’oublier, sans jamais le décider, alors j’ai laissé faire… Et le pire arriva lorsqu’il partit un week-end à Barcelone avec plusieurs amies communes, trois jours au soleil, pour un concert de notre fameux groupe. Je ne pouvais pas y aller à cause du travail et je n’ai pas osé demander de journée pour m’y rendre du fait d’un patron rigide sur ce sujet. Je m’y étais préparé pourtant, mais quand à leur retour je vis les photos sur internet… cette espèce de coup de poing dans le ventre… la douleur trop insupportable, parvenue à son point culminant. Elle était mélangée à la difficulté du travail qui m’enfermait et m’épuisait, mes angoisses perpétuelles et sûrement d’autres choses, je me sentais meurtri, presque mort de l’intérieur. Je me suis résolu à la faire taire, cette affreuse souffrance. Tant pis pour ma vie, tant que cette douleur partait avec moi pour le néant… je réserve un hôtel, puis deux jours plus tard je me glissai dans la baignoire de la chambre d’hôtel pour me tailler les veines de mon avant-bras gauche.
Tout s’est vite enchaîné : l’appel au secours aux pompiers lorsque j’ai repris mes esprits, mon admission aux urgences du CHU, mon bras opéré dans la foulée… puis expédition à un centre hospitalier pour jeunes suicidaires. Mon douloureux quotidien s’est brutalement arrêté aux portes de ce centre où les prochains jours furent ceux du repos et la remise en question. Mes parents, ma famille, mes amis… tous sont venus vers moi avec la même question au bout des lèvres : « mais pourquoi ne pas nous avoir parlé si tu allais si mal ? ». C’est vrai, je n’en avais jamais parlé, je fais donc partie de ces gens dépressifs qui cachent leur misère derrière un impassible sourire. Il n’y a eu qu’une seule forme d’avertissement, adressé à ma meilleure amie qui était la plus au courant de mes angoisses « j’accumule sans rien dire mais le jour où ça pètera, ça fera très mal ». Mélanie ne pouvaient cependant rien faire à l’époque si ce n’est me soutenir.
Après ma tentative de suicide elle s’est occupée de tout : rassurer mes parents, prévenir les amis… mais pas venir me voir car bloquée à Troyes par son travail. Thibault, quant à lui, n’est jamais venu me voir au centre parce qu’il n’aime pas ces endroits où d’après lui on en ressort plus mal que quand on y rentre, et qu’il se sent mal à l’aise là où les gens sont malheureux. En lieu et place il m’envoyait des messages tous les jours (auparavant nos échanges n’étaient qu’occasionnels), et ça me suffisait. Parler aux psys fut une tâche difficile dans un premier temps, d’autant qu’on me posait toujours les mêmes questions, mais très vite j’ai libéré la parole, accusant d’abord le travail où j’ai eu ce que l’on appelle aujourd’hui un burn-out. En effet je n’en pouvais plus, je travaillais toujours six jours sur sept, 46 heures par semaine, un métier physique et épuisant aggravé par le fait que je travaillais dans une petite entreprise avec le patron toujours sur mon dos, lui-même dépressif et tenant des discours toujours très décourageants et négatifs.
La décision s’imposa vite de quitter cette entreprise où j’ai travaillé plus de cinq ans, voire de changer de métier pour un autre moins épuisant et où je m’épanouirai plus. Cette décision levait ainsi une des sources de ma souffrance qui m’avait conduit au suicide. Une autre souffrance était de cacher mon homosexualité à mon père. Là encore c’était le moment de briser la glace, et aidée de ma meilleure amie il apprit enfin la vérité tandis que j’en reparlais à ma mère suite à des années de tabou. Ils réagirent à merveille, déclarant que seul mon bonheur comptait. Je me sentais presque trop chanceux d’avoir des parents aussi aimants… Mais la racine du mal n’avait pas encore été évoqué, et je ne l’assumais toujours pas, alors je ne disais encore rien sur Thibault et laissais courir cet autre mal qui m’avait rongé (et qui m’avait surtout conduit au geste irréparable). J’en étais momentanément apaisé lors de mon séjour au centre, d’où le fait que je ne m’en préoccupais pas. En effet, dans ce genre d’endroit le temps est au ralenti voire à l’arrêt pour ce qui est de l’extérieur, plus rien ne se passe dehors, et donc d’une certaine façon Thibault n’existait plus, à part l’ami qui venait prendre de mes nouvelles tous les jours. Il me proposa de passer quelques jours chez lui, car là est une de ses plus grandes qualités : quand un de ses amis va vraiment mal, il lui propose de passer quelques jours dans sa maison. Le rendez-vous était pris car j’en avais vraiment très envie.
A ma sortie du centre, je ne devais plus être le seul. Le mot d’ordre était donc de bouger, de me changer les idées, et quand je ne bougeais plus je restais chez les parents pour que subsiste de l’animation là où je posais mes valises. A l’anniversaire d’une amie commune je revis Thibault, heureux de me revoir mais en même temps très mal à l’aise, plein de colère contre moi après mon geste. Quant à moi je lui en voulais de venir à Caen à l’anniversaire d’une amie commune alors que cela faisait trois semaines que j’attendais sa visite pendant que j’étais au centre. Je ne sais pas si me revoir lui a causé un malaise mais il dut repartir chez lui très vite. C’était presque trop rapide après nos retrouvailles, il se sentait réellement mal à l’aise et dans l’obligation de nous quitter. Bref, plus tard je rendis visite à Mélanie à Troyes, c’était la première fois que l’on se revoyait depuis ma tentative de suicide. On parla beaucoup, mais je ne me sentais pas encore prêt à révéler ce qui était enfoui au fond de moi, malgré les conversations riches de sens dans lesquelles nous nous étions engagés.
Puis quelques jours plus tard encore, je posais mes valises chez Thibault, pour cinq jours. Il partait travailler la journée mais on se revoyait le soir, tandis que l’après-midi je bougeais et allais voir mes amis résidant dans la région. Le fait d’être chez lui, de fréquenter sa famille, de manger avec lui, de dormir dans le même lit que lui, d’être simplement près de lui… mes sentiments revenaient à la charge. Pas question de me laisser dériver davantage, je devais agir, taper dans la fourmilière une bonne fois pour toutes. Oui, c’était maintenant ou jamais… prendre une grosse décision… quitte à briser notre amitié… Un mercredi soir, nous nous apprêtions à dormir lorsque je lui annonce sans détour la vérité « j’ai des sentiments pour toi ». Sa réaction fut successive. D’abord il le vit comme un choc, me disant qu’il ne s’y attendait pas (« pourquoi tu ne me l’as pas dit avant? »), bondissant du lit et se précipitant dans le couloir comme pour reprendre son souffle. Dans la foulée il se sentit flatté que son seul pote gay tombe amoureux de lui !
Enfin il se sentit mal, très mal, et cela dura les deux jours suivants. Je me mis à pleurer, enfin, et plus encore en lui annonçant que la décision n’était pas seulement de lui annoncer, mais aussi de prendre mes distances avec lui, voire de le faire complètement disparaître de ma vie, si là était la seule solution pour que j’aille mieux. Il se sentait désemparé, car voulant m’aider mais il ne pouvait littéralement rien faire, si ce n’est me donner ses précieux conseils d’ami qui résonnent encore en moi aujourd’hui. « Tu as tout sorti, maintenant tu repars de zéro, tu n’as plus rien à perdre », « tu ne dois pas te précipiter, tu dois y aller étape par étape », « continue de prendre les décisions qui s’imposent et un jour tu iras totalement mieux ». Le reste de mon séjour là-bas fut… spécial. J’étais infiniment triste, mais soulagé. Lui était fier que j’aie enfin eu le courage de lui annoncer, mais tout aussi triste, en colère, très nerveux… Il se retrouvait dans une situation inédite, dans l’incapacité totale d’aider son ami qu’il hébergeait encore, et moi, voyant notre amitié comme tiraillée entre la sincérité nouvelle qui naissait entre nous et sa fin programmée maintenant que la vérité avait éclaté. C’était presque surréaliste. Au point où nous en étions, j’ai « osé » lui demandé un service, celui de l’embrasser, pour que je puisse vérifier mes réels sentiments pour lui, et obtenir une forme de réponse sur moi et mon passé avec mon ex. Il a catégoriquement refusé.
Je n’osais plus regarder ses parents en face (chez qui on avait mangé le soir même). Quant aux amis que je vis au cours de la semaine, je leur racontais tout, pris d’une puissante envie de vider mon sac. On me rassura sur l’avenir de notre amitié, que je devais simplement prendre de la distance avec lui et que quand je ne serai plus dominé par mes sentiments je pourrai revenir vers lui. Mais je ne suis pas aussi optimiste, car ce que j’ai vécu a été profondément ancré en moi, sans compter que cette histoire a fini en tentative de suicide. Ces faits établis, l’espoir de voir notre amitié survivre tombait à plat. Mais je ne voulais pas le perdre, non, je ne veux pas perdre Thibault, il représente beaucoup trop pour moi… Quoi qu’il en soit, à la fin de cette semaine mouvementée, j’ai refait mes bagages et je suis parti sans me retourner, lui adressant un dernier au revoir, car je savais à ce moment précis que plus rien ne serait jamais pareil entre nous. Je l’ai de plus bloqué sur les réseaux sociaux, lui et sa famille. D’une certaine façon je les rejetais en bloc, c’est vrai, je le faisais car tout ce qui gravitait près de lui était également une source de bonheur et de frustration pour moi, ainsi pour me protéger j’ai souhaité mettre tout l’ensemble derrière moi, et pas seulement lui. Il ne faut néanmoins pas se voiler la face, on se reverra, en raison de nos nombreux amis communs, mais je devrai l’éviter. J’étais extrêmement triste, mais fier et soulagé d’avoir enfin crevé l’abcès. Un chapitre venait de se fermer, une partie de ma vie, car c’est vraiment ce qu’il a représenté…
Aujourd’hui je me reconstruis, loin de lui, je retrouve à nouveau la vie dans sa plus simple conception, sans qu’il ne m’en vienne entraver la vision. C’est un peu cela qu’il me faisait d’ailleurs, il m’entravait, malgré lui, et aujourd’hui je me libère du carcan dans lequel je m’étais enfermé. Je suis triste de me dire que mon avenir se fera sans lui, mais rassuré et soulagé que peu importe cet avenir il ne viendra plus m’en absorber les contours. Je me sens de nouveau libre, capable du meilleur comme du pire. Et je me sens de nouveau moi, alors qu’au cours de mon attachement pour Thibault je sentais peu à peu ma personnalité se perdre. Je repars peut-être à zéro, mais au moins je suis de nouveau moi. Déjà mon homosexualité révélée à ceux qui l’ignoraient encore c’est libérateur. L’amour m’a fait plus de mal que bien, m’a causé bien plus de frustration que de bonheur, mais j’ose espérer qu’à défaut de me tuer il m’a rendu plus fort, et que les prochains bouleversements de ma vie auront plus à m’offrir qu’à m’enlever.
Quant à notre amitié, je n’ai sans doute pas assez de recul pour m’en assurer, et mes amis sont plus optimistes que moi à ce sujet, mais je crois réellement qu’elle est perdue à jamais. Elle n’y survivra pas. Non, j’ai été trop marqué, pendant deux ans, et à l’issue d’une tentative de suicide, je ne peux plus me permettre de courir le risque. Thibault va beaucoup me manquer, et je ne parle pas du mec dont j’étais amoureux, mais bien là de l’ami. Celui qui m’a toujours aidé, celui qui me témoignait une profonde affection amicale dont j’avais également besoin, celui qui m’avait introduit à sa famille et aux yeux de qui je suis devenu un peu des leurs, oui, c’est celui là qui va me manquer. Mais je ne veux plus de Barcelone, ça m’a fait trop de mal. Non, je n’en veux plus… Tant pis pour Thibault, qui lui a aussi perdu un ami. Mais il en a plein d’autres, il s’en remettra. Et moi je m’en remettrai aussi, il m’en reste plein, même si lui n’est plus là. Il est comme mort pour moi aujourd’hui, je me sens vivre un deuil. Dans l’entourage ma prise de distance est respectée, mes amis le savent et n’en discutent pas. Elisa fête bientôt son anniversaire, il sera là, et moi aussi, on compte tous les deux pour elle et j’accepte là de prendre sur moi de subir sa présence pour elle. Est-ce qu’on est condamnés à devoir toujours s’éviter même à nos futures soirées communes ? Quoi qu’il en soit, ça ne sera plus jamais comme avant. Ainsi soit-il…
Je ne désire pas faire étalage de mes sentiments, ni me plaindre, ni quoi que ce soit dans ce genre là. Je veux simplement témoigner de ce que j’ai ressenti, de ces fluctuations du corps et de l’esprit qui ont tant influencé ma vie. J’ai aimé Thibault en tout, en amour, en amitié, en affection pure et simple, je me suis profondément attaché à lui. Je l’ai plus aimé lui que je m’aimais moi-même. Et ça m’a stimulé autant que ça m’a détruit. Je ne le souhaite à personne, aussi enrichissante cette expérience fut-elle. Quant à mon avenir, il est flou. Je vais changer de travail, je retourne temporairement chez mes parents… une remise à zéro assumée. Mais le plus incertain reste mon avenir amoureux. Je suis plus que jamais plein de doutes. Ca n’allait pas avec Thomas, je n’aurai peut-être rien ressenti en embrassant Thibault, les filles ne m’attirent pas et même si je regarde les garçons, je m’attache très rarement et je ne nourris d’envies sexuelles que si je ressens un lien fort avec la personne, et encore… Je suis peut-être asexuel, qui sait, et peut-être condamné à vivre seul ? Avec juste des envies passagères de partager ma vie avec quelqu’un qui finiront tôt ou tard par me faire de nouveau mal voire de m’achever… Je ne suis pas heureux, ni malheureux, mais je veux profiter de la vie autant qu’il me soit permis. Et tant qu’il y a la moindre chance, il faudra la tenter.
Pour finir sur Thibault, sans qui je n’aurais pas écrit ce témoignage après tout, il fera toujours un peu partie de ma vie tant il l’a marquée. Je ne penserai peut-être doute plus à lui, mais je ne l’oublierai jamais. Je n’en garderai que les bons souvenirs, et transformerai les mauvais en enseignements pour le reste de mon existence. Merci à toi, comme à tous mes amis, ma famille, pour ce que vous m’avez apporté. Je tâcherai à l’avenir de faire de mon mieux pour être à la hauteur de la solidarité que vous m’avez témoignée. La vie n’est définitivement pas un long fleuve tranquille…
Clément

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