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28 mars 2024

Témoignage - Danse sociale et amour

C’était la première fois que je la rencontrais, ces grands yeux noirs et ses cheveux bruns un peu ébouriffés m’ont tout de suite plu. Elle avait l’air sympathique, timide, j’ai tout de suite voulu être son amie. Surtout que je ne connaissais personne dans ce cours et que j’étais déjà vraiment gênée de danser…

AlterHéros

Quelques mois plus tôt, je n’aurais même jamais songé à m’inscrire à un cours de danse sociale, mais mon voyage à Cuba et le nouveau film « Danse lascive » m’a donné envie d’apprendre à danser. Bien entendu, je n’avais nullement le sens du rythme et j’étais aussi gracieuse qu’un éléphanteau, mais je décidai de tenter ma chance coûte que coûte.

J’avais magasiné les écoles de danse et avait finalement arrêté mon choix sur une petite école située près de chez moi. C’était dans le sous-sol de la maison de la professeure de danse et c’était vraiment très mignon. Il n’y avait qu’une grande salle, un petit hall avec des crochets pour les manteaux et des petits bancs où s’asseoir. Dans la salle de danse, les murs étaient tapissés de photos et le mur du fond était recouvert d’un miroir.

Je n’avais pas de partenaire et les autres ne semblaient pas en avoir plus que moi. Les nombreuses filles et les quelques gars, en fait il y en avait trois pour sept filles, s’observaient discrètement du coin de l’œil. Un peu mal à l’aise, j’observais une photo d’environ un mètre de haut de Barischinikov qui posait dans ses collants roses, en fait la photo était en noir et blanc, mais j’étais certaine que ces collants étaient roses. Cette photo d’ailleurs devait me rester en mémoire pour toujours lorsque je pensais à la danse.

Donc, nous étions tous là à attendre l’arrivée de notre professeure quand une petite femme dans la quarantaine entra en riant dans la salle. Elle ferma la porte coulissante derrière elle, puis tira le rideau pour rendre la vue inaccessible à d’éventuels voyeurs. Elle était vraiment petite, je la dépassais d’au moins une tête. Était-il possible que cette femme qui semblait bouillir d’énergie soit notre professeure de danse? Elle salua tout le monde bruyamment d’un ton joyeux et c’est alors que tout le monde comprit que c’était bel et bien celle qui nous enseignerait à danser la valse, le Rock’n’roll, la salsa et tout le reste. Elle désigna dans notre petit groupe deux filles en nous expliquant que ces deux charmantes personnes qui avaient à peu près notre âge étaient d’un niveau plus avancé, mais qu’elles se joignaient à nous, car il y avait un manque de gars dans notre groupe. Donc, ces filles joueraient le rôle de garçons pour toute la durée de la session. Le professeur, qui s’appelait Johanne, prit les présences et nous fit faire plus ample connaissance les uns avec les autres. Tout le monde désirait vivement tisser des liens et briser la glace, la gêne s’estompa donc assez vite. Sabrina, qui était une des filles qui étaient plus avancées, me prit immédiatement sous son aile. Elle souriait timidement et en la voyant, elle me paru sympathique. Elle était très timide et nous parlions peu, blaguant beaucoup par gêne et riant un peu trop. J’étais épouvantablement mauvaise et je n’arrêtais pas de lui marcher sur les pieds. Nous apprenions le merengue et je trouvais que c’était la danse la plus complexe du monde, mais c’était en fait plutôt le contraire. La jeune fille ne semblait pas s’en formaliser et usait d’une patience inouïe à mon endroit, grimaçant seulement lorsque mon pied entrait en collision avec le sien. Je me concentrais sur chaque pas et me confondais en excuses chaque fois que je faisais une erreur. Elle riait un peu et nous recommencions.

Parfois, nous changions de partenaire, sous ordre de Johanne, mais nous essayions le plus souvent de danser ensemble, car nous nous entendions très bien. Je me rappelle les grands signes invitants qu’elle me faisait lorsque Johanne nous demandait de danser à deux.

Plusieurs cours passèrent et bien que nos conversations ne furent pas très approfondies, dues au fait que je n’arrivais pas à me concentrer sur mes pas et à parler en même temps, notre amitié, elle, fleurissait de plus en plus. Une relation bizarre s’installa entre nous deux, purement fondée sur la danse. Ma main droite dans la sienne, si délicate que j’osais à peine la serrer et ma main gauche sur son épaule, si frêle que j’osais à peine la toucher. Ses cheveux tombaient parfois sur son épaule et dans ces cas là, j’avais tellement peur de les lui tirer que je mettais à peine le bout des doigts sur son épaule. Je ne savais pas trop quoi penser de tout ça. Son image me poursuivait sans que je puisse rien y faire et je ne comprenais pas trop ce qu’il m’arrivait. Je savais que c’était mal, que je ne devais pas aller plus loin. À ce moment-là, j’en étais malheureusement déjà entachée. Une fille? Moi et une fille? Depuis quand cela avait-il du sens? J’étais anormale, ça ne pouvait pas être ça. J’étais en quatrième secondaire et jamais auparavant ces questions ne s’étaient posées à moi. Peut-être était-ce normal, peut-être était-ce un questionnement que tout le monde se faisait. Je fis des recherches, je me questionnai, mais toujours je restais sans réponses.

Les mois passaient et soudain je pris peur. Ça ne pouvait pas m’arriver, pas à moi. J’avais toujours été attiré par les gars. Bien sûr, mes dernières relations de couple avaient été un fiasco total et je n’avais jamais été amoureuse d’un gars. Je n’en avais jamais embrassé un non plus et je crois que je n’avais jamais pris la main d’un membre de l’autre sexe. Ça ne se pouvait pas…Je ne voulais pas. Pourquoi moi! Il fallait que je redevienne normale. Il fallait que je cesse de la voir… pour toujours. J’appelai ma professeure de danse et lui demandai de me changer de cours en prétextant que j’étais dorénavant occupée le jour où j’avais habituellement mon cours. En coupant tous les ponts, je guérirais sûrement de ma folie. Je ne savais pas à qui en parler et je me sentais un peu perdue. Un gars de mon cours me suivit et devint mon partenaire officiel. Il était un peu maladroit et agaçant, mais c’était mieux que rien.

Noël arriva et Johanne organisa son spectacle annuel du temps des fêtes. J’avais une chorégraphie à présenter avec Maxime, mon partenaire, et je craignais de revoir Sabrina à tout moment. Au spectacle, Maxime avait invité son ami d’enfance, Dominico. Je lui parlai et je sentis aussitôt que je lui plaisais. Il avait un look un peu gothique et je l’avais déjà entrevue à plusieurs reprises à la sortie du cours où il attendait souvent Maxime qui retournait chez lui à pied ou en vélo. Nous nous entendions plutôt bien, Dominico et moi, nous revîmes par la suite. Je me retrouvai bientôt à sortir avec lui. Ma mère m’avait interdit de le revoir, car elle n’aimait pas sa façon de s’habiller. Je crois que je suis sorti avec lui un peu pour ça, mais surtout pour me changer les idées et me forcer à croire que j’aimais les gars. Je suis sorti avec lui assez longtemps. Je ne l’aimais pas, mais je croyais qu’un jour j’y arriverais. Bien que ce fut excitant pendant un moment de sortir avec lui en secret, je me lassai assez rapidement.

Il arriva donc ce qui arrivait toujours avec mes amoureux, j’essayai de le fuir. J’essayais de le voir le moins souvent possible et j’étais toujours occupée lorsqu’il me téléphonait. Notre relation prit fin lorsque je l’invitai à coucher chez mon père. Nous avions un party au club de golf dont mon père est le propriétaire et je l’y avais invité. C’était le party d’ouverture. Ma tante, que j’adore, y était et je passai toute la soirée avec elle. M’enfuyant constamment dans sa voiture avec elle, pour discuter en paix. J’avais eu un an pour réfléchir seule à ce qui m’arrivait et comme je n’avais jamais embrassé Dominico après plusieurs mois de fréquentation, j’étais à peu près certaine de ce qui m’arrivait, mais j’avais encore d’énormes doutes. Je lui confiai donc ce que je vivais et elle me rassura du mieux qu’elle put.

En fait, ce n’était pas la première à qui j’en avais parlé, j’en avais aussi parlé à Laurence, une vieille amie partie vivre en Abitibi depuis un an, avec qui j’avais toujours gardé un contact constant. Cette amie m’avait immédiatement accepté, peu importe mon orientation sexuelle, et m’avait toujours offert son écoute et ses conseils. Ma tante, elle, était plus sur la réserve, elle me poussait dans la voie de la psychanalyse et essayait plus de chercher un sens profond à ce que je vivais. Ce n’était pas vraiment ce que je désirais, mais je l’écoutai tout de même. Je sortis de cette soirée plus mélangée que jamais et je me sentais coupable en plus d’avoir laissé Dominico en plan la majeure partie de la soirée. J’étais cependant sûre d’une seule chose, je ne l’aimais pas.

Le lendemain, mon père, ma belle-mère, Dominico et moi nous rendions à Montréal nous promener. Mon père et ma belle-mère partirent de leur côté et nous laissèrent ensemble. Nous étions censés nous retrouver au cinéma à l’heure du film. Malheureusement, je m’étais trompé d’horaire en lisant et lorsque je m’en rendis compte à l’heure du film, j’éclatai en sanglots nerveux. Dominico me prenait plus pour une folle qu’autre chose, mais je ne pouvais m’arrêter de pleurer. Je pleurais pour moi, je pleurais pour mon père dont je craignais les réprimandes, je pleurais sur ce qui m’arrivait malgré moi, je pleurais sur mon incertitude, je pleurais sur tout et sur rien. J’étais à bout. Je me détestais. Je détestais cet univers si injuste. Mon père arriva enfin et me consola avec douceur contrairement à tout ce que j’aurais cru, on aurait dit que c’était comme s’il comprenait, bien que je sache que cela était absolument impossible. Ce fut la dernière fois que je vis Dominico. Nous n’entrâmes plus jamais en communication l’un avec l’autre et c’est très bien ainsi. Nous n’avons en fait jamais mis fin officiellement à notre relation, mais au fond… quelle relation? Je ne lui avais jamais même tenu la main.

L’été se passa sans événements majeurs, mais à ma rentrée en secondaire cinq, j’étais certaine de ce que j’étais. Je me détestais. Je me dégoûtais, mais au moins je savais. Je regardais les gens, mes amis, j’avais l’impression de leur mentir simplement en existant. Parfois, je me regardais dans le miroir et je me disais que ce n’était pas grave, que c’était bien correct d’être comme ça, mais le plus souvent, je m’évitais du regard. Que diraient mes amis? Ma famille? Tout le monde? J’essayais de me persuader que je pouvais redevenir « normale ». Le temps passait et ça me rongeait de plus en plus. Un de mes amis était amoureux de moi et je fus tentée pendant un instant de réessayer ce que j’avais tenté avec Dominico, mais je changeai d’avis, je n’y croyais plus.

Après de nombreux mois, je décidai de le dire à mon amie d’enfance, Catherine, puis à Anne, ma meilleure amie à l’école. Je me souviens, je lui ai dit un midi, nous étions parties marcher dehors ensemble. Dès le début je lui ai dit que j’avais quelque chose à lui dire d’important, mais ce ne fut qu’une fois revenu à l’école, seules devant la façade, à la fin du dîner que je fus capable de cracher le morceau. Nous pleurions toutes les deux, moi parce que je me sentais monstrueuse et elle parce que je ne lui faisais pas confiance. Finalement, tout cela se solda par des rires nerveux et une promesse de sa part que cela ne la dérangeait pas. Catherine non plus n’y voyait aucun problème et était beaucoup trop enthousiaste à ce sujet. Je commençais à me sentir de plus en plus à l’aise.

En parallèle, j’écrivais le projet intégrateur. Ève, Lisane, Anne et moi écrivions un roman ensemble pour ce cours et c’était l’histoire de quatre amis qui allaient à la même école et avaient tous leurs petits problèmes. Mon personnage à moi s’appelait Pascal et bien entendu son histoire était celle d’un jeune homme qui doit accepter son homosexualité et la vivre. Je connaissais la chanson et je pus aisément construire son histoire, basée sur la mienne. Cela m’aida énormément à m’accepter, car je vivais doublement à travers lui et je pouvais coucher sur papier tout ce qui me remplissait le cœur depuis si longtemps. C’était presque une thérapie. En plus, j’étais protégée dans mon anonymat, car tout le monde croyait qu’il s’agissait de l’histoire de Laurent, un très bon ami à moi qui vivait ouvertement ou presque son homosexualité, j’étais donc dans une situation plus que confortable.

Plus le roman avançait, plus je me sentais à l’aise. Je le dis à mes amis les plus proches et en qui j’avais confiance. Je tissai de nouveaux liens avec les personnes qui le savaient et je m’éloignai un peu des autres, par peur. C’est là que j’appris que les humains étaient des êtres complètement stupides et naïfs, mais c’était parfait pour moi. J’en parlais presque ouvertement avec ceux qui étaient au courant, ils étaient de plus en plus nombreux, mais personne ne faisait de liens. Je me permettais même des blagues ou des commentaires vraiment pas très subtils et rien ne se produisait.

Personne ne se doutait de rien et moi je riais. Je m’acceptais enfin. J’étais bien et j’avais envie que tout le monde le sache. Je voulais le dire à tout le monde et en même temps à personne. J’avais peur de certaines de mes amies. J’avais peur de Lisane et de Maude surtout. Ces deux-là me croyaient tellement à 100 % hétéro que j’avais peur. Surtout que j’avais déjà posé des questions à Lisane, subtilement dans le cadre du projet intégrateur, et je n’avais pas trop aimé ses réponses. En plus, elle me paraissait un peu fermée à ce niveau. Elle m’appelait souvent et me racontait pas mal tous ces trucs intimes et je me sentais mal de ne pas le lui dire. Je me sentais comme si je lui mentais en pleine face. Il y avait aussi Samuel, un très bon ami, à qui je voulais le dire, mais comme nous ne nous voyons pas souvent seul à seul, je ne voyais pas trop comment je pouvais le lui dire. C’est alors que j’eus l’idée d’écrire ce texte. J’aurais voulu leur dire autrement, mais je ne savais pas comment et comme j’ai de la facilité à mettre mes idées sur papiers, je pris la décision de faire comme ça. Tout cela en espérant bien sûr que je ne vous ai pas trop ennuyé avec mon histoire.

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