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28 mars 2024

POÉSIE: Je suis porteur du VIH.

Je suis porteur du VIH. Tous l’ignorent. Sauf moi. Ils parlent constamment du SIDA. Tous en ont peur. Plus moi.

AlterHéros

J’existe au centre du monde à saigner du nez de fatigue et personne ne voit l’effroi que provoque chez moi le sang de ma chair; tête-à-tête, ils me tournent le dos, rivés vers la ville mère à murmurer pour éviter la mort atypique, moi qui suis plus dangereux encore, plus près. Sont-ils naïfs ?
Je suis un innocent. Surtout au printemps.
Chacun est aux aguets. Les soirées relaxent, bourgeonnent, le stress se délie ; en canapé les étoiles rutilent où chacun bourdonne. Vin en corolles, tout danger inhibé, remontent dans les corps, lascifs, les désirs d’éclore. Des romances de sofas, forêts surpeuplées, où des yeux fauves font ressortir l’écarlate des filles qui badinent. Elles se perdent au jeu de la cour, princesses faussement proies. Et la Terre se consume dans les cendres du dernier joint pour renaître par les bouches en des lits nuptiaux. C’est la danse frénétique des ressorts de la séduction : chacun craignant la fin trompe sa peur avec une nouvelle pêche. L’appartement semi-amical tamise la jungle de salon; leurs visions se flouent et ils ne baisent plus q’avec eux-mêmes. La proximité crée parfois l’absence, vague impression d’être de hasard à rêver d’amour parmi ce cercle. J’aurais pu m’y leurrer de franche camaraderie.
J’étais gay et affolé. Seul, sans modèle d’abeille butineuse. Trébuchant et errant.
Et si j’ai basculé dans ta nuit mystérieuse, c’est pour répondre aux appels de démence qui sourdaient de mon corps depuis son abandon. De la morsure du voyage au péril de ta peau, je cherchais le ciel fertile où mon exil aurait pu repousser de confiance.
La raison est un chemin de dalles quadrillées dans lequel pousse la passion entre les briques. J’ai versé des torrents sur cette végétation et il en est sorti une brousse à faire craquer la pierre. J’ignore encore comment j’ai traversé le fleuve pour parvenir jusqu’à ton centre vil, car dans ma fuite je ne songeais qu’à me dépêtrer du combat de la nature, la machette de la raison, endormie, ne coupant plus de route. Tu chassais dans ton élément et j’avais fait un chemin immense.
Voilà trois semaines que je dégorge mon énergie pour te rejoindre. J’existe au milieu de la foule à agoniser au téléphone avec toi. Je déteste les cellulaires. Pour la rumeur. Pour l’intimité surexposée. Mais c’est toi qui rappelais. «Non, je… Laisse-moi parler.»
«Virus Infâme, Hervé je te baptiserai, que tu le veuilles ou non. Seulement parce que je gesticule pour ne pas crier. À cacher ma honte invisible. Simplement parce que c’est un nom de bande-dessinée et que je ne peux matérialiser ta présence en moi que par les symboles, dessins et autres pictogrammes des livres de biologie. Tu as une sacrée tête de pieuvre suceuse, Hervé le voleur d’instants heureux.»
Même à couvert, les mots sonnent. Tu entends?
«JE SUIS PORTEUR DU VIH.» La foule a compris, elle, et jacasse déjà à l’arrière plan.
Se Savoir Irrécupérable rend Dommageablement Amer. Le goût de ton sperme, mercure sous la langue, s’échappe dissident à toute conversation conditionnelle. Tu nies tout. Je ne suis pas très positif. Ton attitude non plus. Voir suicidaire. Un accident de parcours. Tu raccroches.
Et je me suis mis à saigner du nez.
Je suis cerné. Les barrières d’insultes ont suivi la charge des regards. La foule est injurieuse
Cette clameur extérieure a rejoint la rage de ma bataille. Et si je n’ai pas cédé aux assauts de mon désespoir, c’est parce qu’Hervé le clébard a réveillé en même temps que la colère les souvenirs de mon identité. Je ne peux Lui souhaiter la peste car il me l’aurait alors léguée en plus de mes fièvres troublantes d’il y a un an. Et si je n’ai pas brûlé sur la place publique, c’est grâce aux griffes plus qu’acérées d’une goutte perlée qui traçait le pourtour de ma peau.
En un instant, ils ne me voyaient plus que rouge.
Je ne suis pas qu’un séro ! Rien d’un zéro.
Je suis gay. Cela m’a appris que je n’avais pas à porter le fardeau de la norme.
Je suis un rêveur. Je suis TOUJOURS un rêveur. J’ai inscrit sur l’asphalte qu’il me faudrait désormais Vivre Intensément en Homme. Au premier degré. Toujours en rouge.
Je tremble. Je pense à cet artiste cubain qui avait fait un tas de bonbons pour son amant mort du SIDA. Vingt-huit kilos. Chacun passait en prendre un. C’était tout de même plus léger à porter. J’ai peur.
Qu’est-ce qu’on fait quand on saigne du nez ?
On avance un mouchoir. Je remonte le bras qui m’a rejoint au centre de ma prison de jambes. Aucune gêne dans le sourire de l’inconnu. Et si Hervé le molosse mordait ?
-Je sais m’occuper des chiens méchants, dit-il en montrant les dents à l’attroupement.
Je rougis. À vingt ans, j’ai encore presque toute ma vie à vivre devant moi

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